1693-1694 : Les années de misère La dernière grande famine de l'Ancien Régime
Mais les pertes militaires pèsent peu à côté des mauvaises récoltes à répétition que provoquent étés pluvieux et hivers glaciaux. Mal nourries, quand elles ne meurent pas littéralement de faim, les populations sont la proie de maladies endémiques qui se transforment alors en épidémies, telle la redoutable dysenterie. En 1693-1694, tout concorde pour donner lieu à la plus grave crise de subsistance de l'Ancien Régime. La vie précaire Dans la France de l'époque, on ne meurt
généralement pas de faim. En année normale, la population est à peu près convenablement
nourrie, même si l'immense masse des
humbles se contente d'une tranche de pain trempée dans un potage de légumes — «la
soupe» —, qu'un morceau de lard parfume parfois et où manque encore la pomme de
terre... Mais l'agriculture, avec ses rendements dérisoires, reste un exercice précaire
qui, chaque année, rend redoutable la période dite «de la soudure», celle où, aux environs de
mai les réserves de l'armée passée s'épuisent alors que le blé sur pied n'est pas encore prêt
à être moissonné.
Dans la capitale, cependant, à l'été 1694,
l'heure est à l'angoisse et non encore a la colère À l'initiative des clercs, de longues processions se forment autour de la chasse de
sainte Geneviève, patronne de la cite. Sur
ordre de la municipalité et appointes par elle, des «chasse-gueux» se chargent d'expulser
les pauvres; il en va ainsi également dans la plupart des villes de France. Condamnes a
l'errance, les malheureux se jettent dans les champs sur le blé encore vert et le dévorent : il Quand toutes les céréales sont épuisées - le froment, le seigle, l'avoine après le blé -, es pauvres se trouvent réduits à recueillir les glands ou les fougères pour en faire une sorte de pain. Ces «méchantes herbes» achèvent de ruiner la santé des malheureux, qui enflent après y avoir eu recours. Les orties, les coquilles de noix, les troncs de chou, les pépins de raisin moulus n'ont pas meilleur effet. Les curés, qui nous renseignent sur ces tristes expédients, parlent aussi des bêtes, ( qu'on ne nourrit plus et qui meurent avant les hommes : les charognes de chiens, de chevaux et «autres animaux crevés» sont consommées en dépit de leur état de pourriture des sources indirectes mentionnent des cas de suicides et d'autres, plus rares, d'anthropophagie.
Durant tout l'été 1694, la chaleur, qui accélère la putréfaction des milliers de cadavres sur les chemins, est responsable de graves épidémies. La typhoïde, notamment, propagée par l'eau et les aliments souillés, achève ceux qui ont réussi à se nourrir un peu. Les organismes, affaiblis, sont moins féconds : la natalité, loin de compenser le nombre des morts, fléchit durant tous ces mois. C'est la dernière grande famine de l'Ancien Régime, terriblement meurtrière : elle légitime le nom qu'un historien a récemment donné à cette période sombre, «les années de misère».
Le pain est, pendant toute, l'époque moderne, le fondement même de la nourriture et sa composante essentielle, Que le blé vienne à manquer, et c'est la famine (détail d'une peinture de j Le Nain, la Famille de paysans dans un intérieur, Paris, musée du Louvre).
Mort à l'automne de 1694, le prêtre stéphanois
Jean Chapelon a mis en vers la triste litanie des nourritures dont doivent se contenter ses contemporains durant la famine :
« Croiriez-vous qu'il y en eut aw, à grands coups de couteau, 1 Ont disséqué des chiens et des chevaux, /Les ont mangés tout crus et se sont fait une
fête/De faire du bouillon avec les os de la tête. Les gens durant l'hiver n'ont mangé
que des raves 1
Et des topinambours, qui pourrissaient en cave, /De
La famine de 1693-1694 est la conséquence de la dégradation climatique
qui s'observe dans les 10 ans qui précèdent et qui suivent le tournant du siècle. |
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